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Chatulivre
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17 avril 2020

C'est vendredi !

    Un peu d'humour et de  lecture pour bien commencer le week-end !  

                                            

                                                     

Ber vous propose :

VOULEZ-VOUS... ?

Michel Bussi

« Sans vouloir me vanter, j’évitais déjà les gens avant le Covid-19. »

J’ai lu cela quelque part sur Internet, ça me convient bien.

J’ai 35 ans, j’habite seul, dans un petit immeuble d’un petit quartier, en périphérie d’une petite ville dont on ne parle jamais.

Le confinement aussi me convient bien. Dès l’annonce, certains se sont précipités pour acheter des pâtes, d’autres de la crème solaire pour partir à la mer, moi j’ai couru à la librairie la plus proche. Mon stock me permet de tenir au moins deux ans, j’ai calculé, avec une base de trois romans par semaine. J’ai une connexion Internet suffisante pour garder le contact avec la terre entière, et désormais toutes les excuses du monde pour dire non aux repas de famille, aux neveux à garder, aux potes qui veulent débarquer…

SEUL !

Ça ne m’empêche pas de regarder la planète tourner, remarquez.

Mais à un mon rythme…

De mon balcon, avec une tasse de thé.

 

Je la trouve franchement conne, la première fois que je la vois passer. Faire du jogging, dès 7 heures du matin. Être confinée et n’avoir que ça comme idée : s’évader ! Être libérée de tout effort et n’avoir qu’une obsession : faire du sport ! Je laisse pourtant mon regard traîner… elle est le seul être vivant de tout le quartier ! Même les moineaux ont déserté ! Peut-être qu’on les a chassés parce que les gens étaient jaloux de leur liberté.

Elle fait le tour du quartier. Un périmètre de 200 mètres au maximum. Petites foulées. Elle disparaît au coin de la rue des Emmurés et trente-cinq secondes plus tard, je la vois surgir avenue Edmond Dantès. Son tour de manège à angles droits dure une petite heure ; elle est passée sous mon balcon presque une centaine de fois…

Chaque jour.

Le lendemain, dès 7 heures, je suis là.

Je la trouve plutôt courageuse, le second matin. Je la trouve plutôt en forme, le troisième, plutôt triste le quatrième, plutôt fatiguée le cinquième, plutôt rêveuse le sixième, plutôt jolie le septième. C’est le premier dimanche de confinement, et le soleil a décidé de fêter ça. Elle a enfilé un short, un top à bretelles, épaules dénudées et nombril déconfiné. Plutôt très jolie même. J’ai guetté, tour après tour, la gouttière de sueur qui s’allongeait dans son dos, le balancement infatigable de sa queue-de-cheval, et je dois bien l’avouer, le roulis de son adorable petit cul. Vous reconnaîtrez qu’après tant d’efforts, mon inconnue avait bien mérité de posséder un aussi parfait fessier. Dans ma tête, je la comparais à un petit poney… et je l’ai surnommée Poly.

 

Ma seule sortie, pendant cette détention bénie, consistait à me rendre à l’épicerie. Trois fois par semaine aussi. L’épicerie ne porte pas de nom, mais dans le quartier on dit La Girafe, parce qu’il y en a une taguée sur le mur, depuis que le mur existe je crois.

Jamais je n’ai autant aimé faire mes courses !

Distances de sécurité, gestes barrières, en clair, ne parler à personne, même pas aux plus bavards des voisins, et si la file d’attente dure une heure, s’étire sur la moitié de la rue du 9 Novembre, je ne vois pas le temps passer, un livre à la main, pas plus dérangé que dans un train. J’ai l’impression que tout le quartier se rend à l’épicerie pour consommer, comme avant tout un quartier se rendait à la même église pour communier.

Poly aussi.

Les gens sont tous sur leur portable, comme s’ils n’avaient pas le temps de regarder leur écran chez eux.

Pas Poly. Poly est la seule de la file qui, comme moi, lit !

 

J’en ai appris un peu plus sur Poly. Elle habite la même cage d’escalier. Je l’ai vue sortir, et entrer. Je suis même parvenu à apercevoir son visage. Lisse et mélancolique, avec un grain de beauté sur l’œil droit, comme une larme noire. Elle ne m’a pas remarqué. De mon balcon, j’essaye de guetter quand elle apparaît sur le trottoir, son panier à la main, direction La Girafe. Ensuite je me précipite…. J’ai beau me dépêcher, quand j’arrive, déjà au moins cinq clients se sont interposés. Et autant de distances de sécurité entre Poly et moi. Avec mes yeux de myope, c’est à peine si je suis capable de déchiffrer le roman qu’elle lit… C’étaient les Chroniques martiennes, je crois, la seule fois où je suis parvenu à ne laisser que trois clients entre elle et moi.

 

Le général Macron l’a annoncé hier soir, il faut durcir les consignes de confinement, et désormais tout jogging, balade, promenade sera interdit. Chacun devra juste sortir pour trouver à manger, et le plus vite possible se confiner dans son terrier. C’est d’ailleurs étonnant, je trouve, de continuer à employer ce mot, confiné. Pourquoi on ne dit pas tout simplement enfermé ? Confiné… Est-ce que les prisonniers sont confinés dans leur cellule ? Les oiseaux confinés dans leur cage ? Est-ce que les parents demandent aux enfants de se confiner à double tour quand ils sortent ? Est-ce qu’on se confine dans les chiottes ?

 

Poly ne passera plus sous mon balcon. Et dans balcon, y a, merde, putain, c’est con ! Heureusement, le confinement laisse le temps de gamberger. Et j’ai trouvé ! Poly habite la même cage d’escalier ! En descendant à La Girafe, le matin suivant, j’ai observé les rangées de boîtes aux lettres. Je n’ai aucune idée du nom de Poly, ni du numéro de son appartement, pas même de son étage ou son palier. Tant pis ! Je pose au-dessus des boîtes, il y en a bien une vingtaine, bien en vue, La Nuit des temps, de Barjavel.  Elle comprendra…

 

Elle a compris !

Quand je suis revenu, le livre avait disparu. Quand je suis redescendu, le matin suivant, un nouveau livre m’attendait. Un long dimanche de fiançailles… Bien sûr, le roman pouvait avoir été échangé par n’importe quel habitant de l’immeuble, appartenir à n’importe lequel de ces prénoms féminins sur les boîtes aux lettres, trop anciens, qui ne peuvent pas être le sien, Martine, Odette, Jeanine ; autant de retraitées en manque de livres pour cause de bibliothèque du quartier fermée.

Mais non, j’en suis persuadé. C’est Poly qui me l’a déposé !

 

Pour la première fois, ce matin, rue du 9 Novembre, Poly se tient juste devant moi. A force de sprinter derrière elle dans l’escalier, je gagne en rapidité. Jamais fait autant de sport de ma vie depuis que je suis confiné ! Elle lit le dernier livre que je lui ai laissé. Neige. Elle ne m’a pas remarqué. La Girafe est encore à trente mètres, j’ai tout le temps, presque une heure, pour admirer les boucles de Gitane qui pendent de ses oreilles, le fin duvet qui tapisse sa nuque, les bracelets qui s’entrechoquent à son poignet chaque fois qu’elle tourne une page… La file d’attente la plus excitante de toute ma vie ! Quand ça a été son tour d’entrer dans l’épicerie, Poly a doucement refermé son livre et s’est retournée vers moi. Je n’ai vu que sa larme noire, ses narines palpiter et sa bouche entrouverte murmurer, merci.

Son visage lumineux m’inspire des phrases bizarres, d’étranges rêves.

Entre confi-nez et confi-dent, il n’y a que l’épaisseur d’une lèvre...

 

Nous échangeons maintenant trois livres par semaine. Nous ne nous sommes jamais parlé. Nous ne nous sommes jamais approchés l’un de l’autre de moins d’un mètre. A-t-on inventé un jour un jeu amoureux plus cruel, plus sensuel, que cette distance de sécurité ?

S’évaluer, se désirer, se manquer, se chercher, se retrouver, jour après jour, sans pouvoir se toucher.

Une danse à distance. Une torture qui dure.

Désormais, nos agendas sont coordonnés, par consentement tacite, sans un mot échangé. Nous sortons les mêmes jours pour nous rendre à La Girafe, à la même minute, toujours un livre à la main, parfois Poly se retrouve devant moi dans la file, parfois c’est moi. Nos regards se frôlent, se capturent, imaginent, emmagasinent des images… pour les projeter ensuite à l’infini sur les murs de nos deux solitudes confinées.

Et fantasmer…

Au jour d’après !

 

Ça y est, c’est aujourd’hui, nous sommes libérés ! Le général Macron l’a annoncé.

Il n’y a jamais eu autant de monde devant La Girafe, mais cette fois, plus aucune longue file avec respect des distances de sécurité. Juste un attroupement grouillant. Les gens n’étaient pas en manque de démocratie, mais d’anarchie ! Ça se double, ça se bouscule, ça s’engueule et ça rit… La Vie…

Elle m’aurait presque manqué.

Poly est quelques mètres devant moi, entraînée par la foule. Les cheveux de mon petit poney sont pour la première fois décoiffés. Je l’aperçois se hisser sur la pointe des pieds dès qu’elle est presque entrée dans l’épicerie, se retourner vers moi et me crier : 

–        Je prends du champagne pour fêter ça ?

J’entends sa voix pour la première fois ! Et tout le quartier entend mon cœur qui bat. Oui du champagne, Poly, c’est parfait, tout ce que tu veux, moi tu sais, je te regarde et je n’ai qu’une envie, t…

–        Laisse tomber, fait une voix derrière moi. Il sera pas frais ! J’ai ramené du prosecco d’Ajaccio.  Ça le fera.

Je me retourne. Le type est plus grand que moi. Plus beau, plus jeune, plus bronzé aussi, le genre à avoir passé son confinement au bord de la piscine sur une terrasse ensoleillée. Je comprends d’un coup. Des amoureux séparés... Evidemment… Comment ai-je pu croire qu’une fille telle que Poly, même enfermée, puisse-être libre ? C’était juste une parenthèse, un petit jeu entre guillemets. Qu’est-ce que j’espérais ?

 

Je suis déconfiné depuis trois mois maintenant. Je vois souvent passer Poly, elle s’est remise à courir, elle a le droit d’aller plus loin désormais, jusqu’au bout du monde si elle veut, elle passe de moins en moins souvent sous mon balcon, et n’y passe plus jamais seule. Elle court à deux, avec son amoureux. Je vais essayer de l’oublier. Je vais dire oui aux repas de famille, aux neveux à garder, aux potes qui veulent débarquer. Et je vais continuer de lire…

 

Trois mois plus tard

 

Le général Macron l’a annoncé. Le virus est réapparu, moins méchant, moins virulent, ça ne durera pas longtemps, il l’a juré la main sur le cœur et ses fameux trémolos dans la voix, pas le choix, faut y retourner, chacun chez soi !

Les gens ont grogné, pour le principe, mais ont obéi sans broncher, désormais ils sont habitués.

Comme la première fois, mon premier réflexe est de foncer à la librairie. J’ai une confiance moyenne dans les promesses du général Macron ; je m’apprête à sortir, quand on frappe à la porte.

Poly est là, elle me sourit.

–        Mon mec ne supporte pas d’être confiné en ville !  Il a pris le premier avion pour la Corse…  comme la dernière fois…

A côté d’elle, une toute petite valise. Juste la place pour un petit livre, une brosse à dents, et un micro-pyjama.

–        Voulez-vous... vous confiner avec moi ?

 


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Commentaires
L
En plus... C'est un beau vendredi ! Merci ! Merci !
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